" MARIE BATAILLE auteur littérature jeunesse, livres pour enfants, presse, roman feuilleton: Lundi Chou farci du 12 novembre : Les pages blanches

Lundi Chou farci du 12 novembre : Les pages blanches

Photo Claude Degoutte


Les pages blanches

Ho, le poète, traverse un grand désert. Depuis de longues semaines, il ne peut plus écrire. Il se lève le matin, regarde par la fenêtre et voit les choses telles qu'elles sont. Simplement comme elles sont. 
              Les délices de l'automne, la chute des feuilles, les jours gris et humides, les matins brumeux et les soirées noires, lui pèsent, le harcèlent, l'inquiètent et ne lui disent plus rien qu'il ait envie d'écrire. Il a besoin de vivre. Il  faudrait qu'il essaie de prendre la vie à bras le corps. Il voudrait se lever le matin avec une épouse dans son lit et des enfants qui piaillent. Il voudrait prendre le métro et sentir la foule s'écraser contre lui, arriver dans un building de 20 étages et s'aplatir dans l'ascenseur comme un employé modèle. Mais il est seul chez lui, avec le minimum de choses utiles, avec des feuilles blanches et des rêveries qu'il doit dompter et transformer en mots. Il est seul le soir à attendre les coups de téléphone improbables de son éditeur.
               Alors ce matin, il est parti tôt pour traverser la ville, boire un thé brûlant, marcher sous la dorure des bois de ginkos, jusqu'à la nuit. Et quand il est rentré, il a allumé son poste de télé et ouvert une bouteille de bière. Il était convaincu qu'il n'y avait rien de grave à ne plus écrire. Il n'aurait plus besoin de courir après les honneurs et les récompenses, il deviendrait un autre homme. Un homme qui n'écrirait plus et apprendrait à vivre sans illusions.
              On sonna à la porte. Melle Lim se présenta. Elle s'installait dans l'appartement d'en face. Elle était secrétaire chez Tchang and Co. Elle avait une frange bien droite et bien lisse, une petite bouche rouge, un tailleur vert et beaucoup d'élégance. Quand Ho referma la porte et but une gorgée de bière, il comprit tout de suite qu'il était redevenu poète. Le parfum discret qu'avait laissé entrer Melle Lim dans la pièce, flottait comme une invisible fumée d'opium qui endormit tous ses doutes, toutes ses révoltes, et toutes ses angoisses. Ho était redevenu lui même. Un poète. Il alla s'assoir à la table et sortit du tiroir une petite ramée de feuilles blanches.
Marie Bataille

les "Lundi Chou Farci" sont sur  
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et les "Lundi Ravioli" sur http://checkthis.com/hjxx


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