" MARIE BATAILLE auteur littérature jeunesse, livres pour enfants, presse, roman feuilleton: ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 9

ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 9

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Semaine 9


Le jour pointait à peine au dessus des tours de l'avenue Aoyama-dori, dans un ciel pur et bleu comme une eau de piscine, traversée régulièrement par le vol noir de quelques corbeaux qui se poursuivaient.
Onaké finissait de remplir fébrilement une valise à roulettes. Je somnolais sur un coin de son lit. Elle s'approcha de moi en tenant un sac de toile à la main.
- Mon Petit Tigre, il va falloir être très sage et très gentil si tu veux rester avec moi. Je pars. Personne ne sait ce que je suis en train de faire. Hier soir j'ai mis de la poudre d'oranger préparée par le docteur Hitachi dans le thé du Kolonel. Si tu te tais, elle n'entendra rien. Nous serons loin quand elle se réveillera. Ca nous évitera des complications. Tu veux bien m'accompagner n'est ce pas?
Je ne pouvais rien lui répondre. Il valait mieux que je miaule pas. Je me suis laissé déposer dans le sac qu'Onaké ferma à demi.
Onaké prit son téléphone et appela un taxi en chuchotant. Ensuite elle souleva la valise pour traverser l'appartement et la déposa sur le palier. Elle revint chercher le sac dans lequel j'étais recroquevillé, pas très sûr de mon sort. Je l'aimais infiniment pour subir l'humiliation d'être ainsi enfermé et porté comme une marchandise. Elle ferma la porte avec la clé pour ne pas la claquer et elle appela l'ascenseur qui se présenta. Les portes s'ouvrirent accompagnées d'un petit son de clochettes. Onaké avait passé les longues anses du sac dans lequel j'étais enfermé sur son épaule et elle me tenait donc légèrement coincé entre son bras et sa poitrine. Son coeur battait très fort et son corps était parcouru d'imperceptibles tremblements. Le grand hall de l'immeuble était vide. Il devait être à peine cinq heures et demi. Je sortis un coin de tête. Avec l'oeil gauche je vis la lumière livide du petit matin et l'avenue déserte qui frissonait par moment à cause du bref passage d'une voiture. On attendit très peu dans le hall. Un taxi se gara devant les parterres plantés d'arbustes nains qui séparaient l'immeuble de l'avenue. Un type en sortit et chargea la valise dans la malle. Onaké serra le sac de toile contre elle et s'engouffra sur la banquette arrière. Elle indiqua qu'elle voulait se rendre à la gare de Tokyo. Le conducteur hocha la tête sans rien dire.
Quand nous fûmes dansla gare, Onaké se dirigea vers les quais réservés au Shinkansen. Elle passa son billet au détecteur et entra dans la salle d'attente réservée.
La gare était encore presque vide. Elle commença à avaler le thé fumant contenu dans un gobelet, ouvrit le sac et se mit à me parler.
- Tu as été parfait Petit Tigre. Surtout n'aie pas peur et ne te sauve pas. Tu serais mort dans l'heure qui suit. Nous partons loin. Le docteur Hitachi est formel. Je dois quitter Tokyo, le piano et le Kolonel. Sinon mes tremblements ne guériront pas et de toute façon, je ne peux plus jouer pour l'instant. Tu sais à Paris, le concert a dû être annulé. Kolonel était folle de rage. Elle se fichait pas mal de ma santé alors que j'étais effrayée, perdue, honteuse. Mr de Salles, mon imprésario parisien, était catastrophé. Pas seulement à cause de l'annulation des contrats, des assurances et autres tracasseries mais parce qu'il comprennait que j'allais mal. Il a toujours cru très fort en moi et il me voyait perdre pieds. C'est un véritable ami, tu sais. Il m'a conseillée d'aller consulter un médecin qu'il connaissait et en qui il avait une grande confiance. Mr de Salles prit rendez-vous pour moi et demanda à une interprète de m'accompagner pour que je puisse parler au médecin le plus librement possible. Il n'était pas sûr que le médecin parle parfaitement l'anglais. Il y eut au début un problème avec l'interprète qui devait être une femme. C'était une relation de Mr de Salles, une personne en qui je pouvais avoir confiance. En fait, c'est un garçon qui se présenta à sa place car elle avait dû quitter subitement Paris deux jours plus tôt. J'ai expliqué que je ne voulais
pas d'un homme pour traduire des choses très personnelles. Mais ce garçon était si prévenant et si sympathique quand je lui ai expliqué pour quelle raison je ne souhaitais pas qu'il m'accompagne, que je me suis sentie très sotte lorsqu'il m'a aimablement salué pour partir. Il comprenait ma gêne et pensait avoir été maladroit en pensant qu'il pouvait remplacer sa collègue femme. Il venait de prendre congé quand jeme suis dit que j'étais stupide de ne pas l'accepter parce qu'il était un homme et qu'il ferait certainement très correctement son travail de traducteur. Son japonais était excellent, il le parlait avec finesse et nuances. Alors je me suis lancée à sa poursuite et je l'ai rattrapé dans le couloir, devant l'ascenseur.
- Monsieur, s'il vous plait, veuillez m'excuser ! Je pense faire une erreur en refusant vos services. J'ai besoin de quelqu'un demain matin et je n'ai pas le temps de m'apitoyer. Pourrez vous m'accompagner?
- Avec grand plaisir, Melle Kikoni. Ma totale discrétion vous est acquise. Ca fait partie de mon métier. Si je puis vous aider, ça sera un grand honneur.
Il s'inclina profondément.
- Tu vois Petit Tigre, il parlait comme un monsieur plein de respect et il avait mon âge! J'ai presque failli lui rire au nez!... Par contre, je peux te dire que sa note de frais était bien celle d'un interprète confirmé et pas celle d'un jeune homme débutant... !
On fut interrompu par un groupe d'homme en costume et attaché-case qui, en rentrant dans la salle, regardèrent Onaké comme une curiosité. Onaké se leva et alla vérifier sur le tableau, le départ du train. Il partait dans un peu moins d'une heure.
On passa au distributeur de boisson avant de retourner s'assoir. Onaké ouvrit alors une revue qu'elle avait achetée et la feuilleta silencieusement jusqu'à ce qu'arrive l'heure de rejoindre le quai. Elle garda le sac de toile sur ses genoux et ne me raconta plus rien jusqu'à ce qu'on soit dans le train.
Nous sommes partis attendre le train sur le quai, devant le repère correspondant à la portede notre wagon et nous sommes montés dans un train en partance pour Kyoto. C'était le premier train du matin. La file d'attente sur la ligneblanche avait été raisonnable. Onaké avait acheté deux places et donc personne ne vint s'assoir à côté d'elle. Je ne pouvais pas sortir du sac. Elle m'amena au toilettes pour me faire boire et manger mais j'y étais peu enclin.
Arrivés à Kyoto, on ne s'éternisa pas dans la gare moderne et froide. Un vent frisquet tombait du toit ouvert et Onaké se faufila en guidant énergiquement sa valise à
roulettes à travers les courants d'air, me serrant fort sous son autre bras. Une voiture noire nous attendait plus loin. Onaké sembla la chercher des yeux et la reconnaitre. Elle salua le chauffeur qu'elle semblait aussi avoir déjà rencontré. Elle ne donna aucune indication avant que le chauffeur démarre. Nous arrivâmes assez vite au Westin Miyako Hotel. A l'accueil, il parut évident qu'Onaké était connue et attendue. Elle demanda si tout avait pu être installé comme elle le souhaitait et la réponse fut à son goût. La porte s'ouvrit sur une magnifique chambre qui donnait sur la piscine et des jardins rougeoyantsà l'annonce d'un automne précoce. Elle ouvrit mon sac, se précipita dans la salle de bain et vit qu'on avait installé mon nécessaire de toilette. Je partis me soulager. Elle envoya quelques messages de son téléphone et revint s'assoir devant la baie vitrée de la chambre. Je la rejoignis en sautant sur l'accoudoir du fauteuil.
- Je pense que ce Guillaume de la Luppa a certainement séjourné assez longtemps au Japon. Je n'ai même pas pensé de le lui demander. Il était très pro, tu sais, Petit Tigre. Il traduisait sans sourciller et me salua profondément un peu avant que je ne quitte le cabinet du médecin et après s'être assuré que plus rien d'essentiel ne le retenait. Il me confia dans le taxi qui nous conduisait chez le docteur Rousseau qu'il parlait cinq langues couramment. L'anglais, l'allemand, l'espagnol, le japonais et moins bien le russe! Les français ont un charme fou...
J'eus envie de griffer le velours du fauteuil mais j'allais me faire mal voir et on risquait
de mettre Onaké dehors à cause de mes sauvageries. Alors je me suis contenté de miauler pour lui dire que moi aussi je le connaissais, ce Guillaume de la Luppa. Et drôlement même...



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