" MARIE BATAILLE auteur littérature jeunesse, livres pour enfants, presse, roman feuilleton: ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 12

ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 12

semaines 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11


Semaine 12

Mameth aperçut enfin, au sommet de leur troncs rectilignes, la coiffe des trois palmiers dans le ciel bleu. Les trois arbres avaient été plantés près de la maison dans les années cinquante. Ils avaient prospéré et résisté à la tempête de 2001. Après sept cents kilomètres d'autoroute et quelques dizaines d'autres sur des départementales
ombragées Mameth venait d'arriver sur la petite route rectiligne au milieu des champs qui menait à Tarrouge... C'était un lieu-dit qui regroupait trois maisons et une ferme, à deux kilomètres du village de Mallorca. L'air était doux et sentait la fleur d'acacia. Le bonheur lui étreignit la poitrine. Mameth comparait ce bonheur à la satisfaction de l'animal qui hume les odeurs, reconnait le contour des lieux et sait
qu'il va retrouver sa tannière après des jours de tribulations passés à chasser. Mameth dépassa la maison de sa soeur Ursule sans s'arrêter et stoppa un peu plus loin devant le portail défraichi de la maison familiale. Elle aperçut au bout de l'allée, le perron de la grosse bâtisse carrée et la façade grise aux volets entrouverts. Mameth avait prévenu Ursule de son arrivée. Sous les fenêtres du rez de chaussée le mur disparaissait envahi par les boules roses des massifs d'hortensias.
Chaque fois qu'elle revenait Mameth trouvait cette maison délicieuse, pleine d'harmonie et de bon augure. Elle sortit de la voiture pour aller ouvrir le portail et sourit à la maison. Si elle avait pu, elle serait partie en courant pour serrer les murs dans ses bras. L'herbe avait été fraichement tondue tout autour et ça sentait le foin séché. Le soleil printannier avait gagné des forces par rapport à Paris et ici, au sud de
la Garonne, ça tapait presque comme en plein été. Mameth retira son gilet et resta en manches courtes. Elle gara la voiture devant le perron et sortit sa valise. Elle espérait qu'Ursule ne se pointerait pas avant une bonne heure. Ursule savait que Mameth avait besoin de temps quand elle revenait au bercail. Elle lui fichait la paix, sauf si un incident fâcheux s'était produit quelque part dans la maison. Tout était solide mais vieux et sommairement entretenu. Après des hivers rigoureux, on constatait parfois quelques dégâts qu'Ursule faisait réparer et qu'elle était pressée de communiquer à sa soeur cadette.

Mameth monta directement dans sa chambre au premier étage située au dessus de l'entrée, avec vue sur le perron, l'allée, le portail et la petite route. Elle pouvait voir venir. Dès qu'elle entra dans la pièce, il lui sembla sentir le parfum de sa mère et de ce Vietnam fabuleux qu'elle n'avait presque pas connu mais que sa mère lui avait raconté. A travers les persiennes entrouvertes, elle se retrouvait Boulevard
Pasteur à Saïgon, presque dans la même chambre que sa mère avait eu tant de mal à quitter. Il manquait son berceau. Il était resté là bas, meuble inutile à rapatrier quand la débacle avait sonné. Mais le lit, la commode, le bureau et la coiffeuse, étaient là. Au dessus du lambris foncé qui courait jusqu'à mi hauteur, le mur était peint couleur blanc cassé. Beaucoup de meubles étaient en bambou ciré et au dessus du lit pendait une moustiquaire qui n'était ici d'aucune utilité. Peintures champêtres et photos noir et blanc d'une forêt d'hévéas, de la rue Catinat, de la Cathédrale et de la Poste Centrale étaient encadrées de marqueteries, de laque ou de nacre. Dans ce sanctuaire dédié à l'Asie, des rideaux rayés blancs et bleus assortis au dessus de lit, une table
carrée en mélanine rouge et deux chaises en bois bleu pétrole achetées chez Ikéa remettaient un peu les choses à leur place. On n'était plus à Saïgon. Elisabeth Levantre était morte depuis bien longtemps, cinq ans après son retour d'Indochine. Mameth était alors une petite enfant désemparée qui se retrouvait avec quatre grands frères et une soeur ainée, Ursule, tous les six gouvernés par un père militaire façonné pourtenir tête aux mauvais coups du sort.
La voix d'Ursule sortit Mameth de sa contemplation et des souvenirs.
- C'est moi ! Je t'ai vu passer tout à l'heure. J'étais au jardin. T'es en haut ?
- Oui, je descends.
Mameth descendit aussitôt et embrassa sa soeur. Elles vieillissaient toutes les deux. Leurs regards réciproques constatèrent cette évidence sans affolement. Depuis qu'elle avait épousé de La Luppa, Mameth avait pris l'habitude de mentir sur son âge. Elle se rajeunissait de cinq ans ou davantage, ça dépendait. Il n'y avait qu'Ursule qui savait son âge exact. Ursule portait bien ses soixante dix ans.
- Quand j'ai remis l'eau, les joints de la douche ont pété. Garcia est venu réparer. J'ai
la facture. Et puis j'ai reçu une lettre de Rodrigue. Cette année ils ne viendront pas. Ils restent à Nouméa. Le voyage est trop long et fatigant, maintenant. Ca m'a fichu un coup au moral. Ils t'embrassent. A part ça, chez toi, tout le monde va bien?
- Tout le monde va bien... Ils sont tous à droite et à gauche, je t'expliquerai. Je vais finir de mettre la maison en ordre et j'arrive. Tu m'as fait un bouillon de poule
pour ce soir?
- Une casserole entière. Et des oeufs à la coque de chez Henri. Ca te va ?
- Orgiaque.
- Bon j'y vais. A ce soir.
Mameth resta sur le perron et regarda s'éloigner Ursule. Elle avait la démarche altière de leur père et le dos droit et plat comme une planche.
Mameth s'était beaucoup laissée aller, elle. Mameth c'était le portrait craché de sa mère. Ursule ne s'était jamais mariée. Elle avait été la maîtresse du curé de Mallorca pendant plus de trente ans. C'était un secret de polichinelle mais ça n'avait pas entaché sa réputation. Ursule avait été une secrétaire de mairie appréciée et une maîtresse d'école respectée. Elle vivait seule à une centaine de mètres du domaine
familial, dans une petite bastide qu'elle avait retapée quand elle avait été obligée de quitter son logement de fonction. Le curé, lui, était mort il y a une dizaine d'année et depuis Ursule qui avait un moral d'acier et une santé de fer menait la vie réglo d'une veuve qui s'occupe de son jardin et de son ménage.

Pendant ce temps, à Paris, Lucien qui se sentait un peu seul sans les discours de Mameth, reçut la visite de Ronrono Chapati. Ce qu'il apprit ne fit que décupler son admiration pour le chat du Bengale, son passeur, son mentor, son père adoptif. Ce qu'il apprit lui fit comprendre pourquoi Ronrono Chapati était un chat hors du commun. Lucien se demandait souvent s'il pourrait un jour lui arriver ne serait ce qu'à la
cheville !




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Vous aimerez peut être

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...

Messages les plus consultés