" MARIE BATAILLE auteur littérature jeunesse, livres pour enfants, presse, roman feuilleton: septembre 2013

ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 34



Semaine 34

Mameth se réveilla sans avoir bien dormi. Pendant la nuit, je l'avais sentie bouger, se retourner souvent dans son lit. Ce matin elle n'avait pas la tête des bons jours quand elle arriva dans la cuisine et remplit d'eau la bouilloire électrique pour préparer le thé.
Je me frottais à ses jambes pour réclamer mon petit déjeuner et déjà, elle soupirait :
- Tu peux pas attendre un peu, non. T'es tyrannique comme la Chloé qui t'a expédié ici ...
Mais elle se baissa aussitôt pour saisir ma gamelle et me caresser au passage. Je ne me laissais pas beaucoup dorlotter. Il fallait qu'elle en profite quand je demandais à manger.
- Ah mon Lucien, mon Lucien ! Heureusement que tu es là finalement parce que depuis quelques temps j'en vois des vertes et des pas mûres, tu sais... Maintenant c'est mon Guigui. Il veut partir au Japon pour s'occuper des affaires d'un type qui est en train de passer l'arme à gauche dans un monastère. Mais qu'est ce qu'ils ont tous à aller mourir dans des monastères. Ils ne peuvent pas mourir dans des hopitaux comme tout le monde. Remarque moi, je ne veux surtout pas mourir à l'hôpital. Je veux mourir chez moi... Mais quel chez moi ? Je ne sais pas... c'est ça le problème. Ici,
bof-bof, Mallorca, c'est mieux, Saigon, c'est le rêve, mais c'est loin... Faudrait que j'ai la force d'arriver jusqu'à la maison de St Jacques. Remarque le type que va voir Guillaume, il a bien réussi à aller jusqu'à Kyoto. Bon, mais au lieu de penser où mourir, faut que je me secoue parce que je vais chez la couturière chercher mon tailleur en shantung. Tu te rends compte qu'il faut faire cinquante kilomètres pour trouver une couturière, aujourd'hui. Le prêt à porter c'est pas pour moi. J'ai mal vieilli. Physiquement j'entends. La gueule ça passe, mais j'ai pris du bide. Si, Lucien, j'ai du bide et dix kilos de trop. J'espère qu'elle aura pu retoucher la veste. Bientôt tu vas être seul pendant huit jours. C'est Mme Ratier la concierge qui viendra deux fois par jour te donner à manger. Guigui peut pas, il sera en Grèce avec moi. Tu vas morfler tout seul des journées entières... et des nuits seul sur le lit. Mon pauvre Lucien ! Bon allez, je me prépare et je pars chez cette couturière. Ensuite je passe chez le chapelier. J'ai jamais eu une tête à chapeau. On dirait toujours que je suis coiffée d'une soupière. Heureusement que je ne me suis pas amourachée d'un futur président de la république. Je ne pensais pas porter un chapeau à ce mariage mais Chloé m'a dit que c'était impensable d'être tête nue. Je n'ai pas voulu envenimer les choses ! Bref, Lucien, je vais rentrer tard et épuisée.

Mameth partit vêtue d'un pull en fil d'écosse, d'un pantalon noirs et d'une veste en jean. Et de son sac de St Jean de Luz. Elle monta dans sa voiture en se plaignant de son genou et en pensant qu'elle était devenueune vieille. Elle se mit à haïr cette journée et se demanda ce qui pourrait bien la lui rendre moins sinistre. Elle roulait vers Bourg la
Reine, Radio 80 à fond la stéréo quand un agité en mercedes noire aux vitres teintées, la doubla et se rabattit en l'obligeant à freiner. Au carrefour suivant, elle assista de loin, à l'accident. Un accident qui allait lui redonner gout à la vie. La mercedes noire, la même, venait de renverser Jean-Michel Lebatu, un cycliste, qui pédalait en tenant en laisse son labrador. Tous deux allaient bon train sur la nationale. Le chien gisait près du trottoir, mort. Il avait eu quelques soubresauts plaintifs et s'était éteint. Le Jean-Michel Lebatu était effondré. Il accusait la mercedes noire pour l'instant, bloquée au feu rouge, de l'avoir serré. Mameth s'arrêta et sortit de sa voiture pour aller taper àla vitre du type en mercedes qui avait refermé sa portière après avoir constaté que le gisant n'était qu'un chien. Le type en mercedes baissa la vitre en voyant Mameth :
- Madame, je vous en prie, occupez vous de vos affaires et surtout ne prêtez pas attention à ce pauvre type alcoolique qui dit n'importe quoi !
- Mais il ne dit pas n'importe quoi ! Vous vous êtes rabattu contre lui violemment. Au croisement précédent vous m'avez doublé de la même façon. Vous ne respectez pas la
limitation de vitesse. Vous êtes un danger public.
- Ne vous mêlez pas de ça. Ce type a bu.
- Je n'ai pas bu ! Hurlait le type en pleurant. Je n'ai pas bu ! Tu as tué mon chien, salaud ! Tu as tué mon ami, connard ! J'ai relevé ton numéro !
- Ne vous en mêlez pas, madame. Ce pauvre mec ne fait pas le poids, vous savez, dit abruptement le mec de la mercedes avec un sourire hollywood chewing-gum, en regardant Mameth dans le blanc des yeux.
- Il ne fait pas le poids contre quoi ? Rétorqua Mameth
- Contre un député, madame.
- Dis donc, député de mes deux ! hurla Mameth en le saisissant par sa cravate, tu crois que les gens élisent des gens comme toi pour t'entendre parler comme ça au français moyen ?
Le député écarquilla les yeux, étourdi, sonné, abasourdi. Cette femme qui avait plutôt l'air BCBG était en fait une mégère, une conne de faubourienne. Il avait fait une erreur d'appréciation... Mais, aujourd'hui, c'était difficile de savoir qui était qui.
- Hé, la mémère, on se calme ! dit-il en tirant sur sa cravate d'un coup brusque.
- Quoi ! cria Mameth. Grossier personnage avec ça ! Mameth lui refila une baffe qui le fit saigner du nez.
Depuis le début de l'incident un attroupement était venu perturber la circulation de la nationale. Une voiture de flic arriva, alertée sans doute par le téléphone portable d'un badaud.

Mameth fut embarquée avec Jean-Michel Lebatu tandis qu'une fois l'identité du député vérifiée, la mercedes put repartir sans encombre.
- C'est sympa ce que vous avez fait, Madame ! dit le SDF cycliste.
- C'est la moindre des choses. Ce député de chauffard à la noix ne l'emportera pas au paradis.
- Il a tué mon compagnon, mon seul ami. Vous aimez les bêtes, madame ?
- Oui. J'aime mon Lucien, un chat. J'aurais pu moi aussi faire un truc dans votre genre avec mon Lucien. Du patin à roulette avec lui.
- Vous vous foutez de ma gueule maintenant?
- Pas du tout. J'essaie de détendre l'atmosphère. J'ai du chagrin pour votre chien. Il avait l'air d'en vouloir à courir comme ça. Comment s'appelait-il ?
- Lupa.
Mameth avala sa salive de travers.
- Avec un p ou deux p à Luppa ? demanda t-elle en toussant
Le type regarda Mameth en se disant qu'il n'avait pas à faire à un modèle courant.
- J'chais pas.
- Bon. Ben on dira deux p, alors. Luppa avec deux p comme l'artiste peintre.
Le fourgon de police s'arrêta devant le commissariat. La conversation prit fin.




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ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 33


Semaine 33

J'avais attrapé une sale maladie en me nourrissant des restes des poubelles de la rue. Une diarrhée m'avait ravagé les boyaux pendant deux jours, me laissant sans force. J'avais trouvé un abri dans la cabane d'un jardin inhabité. Les volets de la maison étaient fermé. Dans la cabane en bois, il y avait un panier d'osier qui contenait des gants en cuir, un tablier et un sac en toile qui m'avaient servi de couche. Je m'étais traîné dehors trois ou quatre fois pour boire dans la soucoupe des pots de fleurs alignés sur la terrasse. Je pensais à Sébastien, qu'il avait peut-être besoin de moi mais j'étais incapable de me traîner jusqu'à la cave. Je m'étais réfugié dans l'endroit le plus proche et le plus sûr lorsqu'avaient commencé mes coliques. Dès que je sentis que
j'allais mieux, je me suis mis en route en direction de la cave. J'étais encore faible, efflanqué mais Sébastien avait peut-être besoin de moi.
Je fis un effort pour me porter là bas et quitter le panier d'osier confortable.
Je franchis le soupirail au milieu de la nuit et j'entendis Sébastien qui sanglotait. Puis sa respiration s'arrêta brusquement au moment où je sautais sur le sol terreux de la
cave.
- Le chat? Demanda t-il. C'est toi ?
Je miaulais tendrement en ronronnant.
- Oui, c'est moi. C'est moi.
- Pourquoi tu m'as laissé vilain chat? Ca fait trois nuits de suite que je suis puni parce que les jumelles ont dit que j'avais dit à la directrice de l'école que mes parents étaient méchants. Ce n'est pas vrai, je n'ai rien dit. Et en plus toi, tu n'es même pas venu. Tout le monde me déteste et toi tu ne viens pas.
- J'étais malade.
- Je m'en fiche. Et puis tu mens, comme les autres... Tu as maigri c'est vrai.
Je venais de sauter sur le lit.
- Ils t'ont fait du mal là haut ? Ils t'ont battu ?
- Non. Ma mère a dit à mon beau père qu'il ne fallait pas me battre, surtout si j'avais dit que mes parents étaient méchants. Elle lui a dit que quand même il fallait faire attention. Alors j'ai eu en échange une semaine de cave. Je me disais que tu serai là et que ça passerai vite la nuit, mais tu n'es pas venu. C'est à cause de ça que je pleurais, tout à l'heure. Je croyais que tu m'avais oublié pour toujours.
- Et pourquoi, imagines tu des horreurs pareilles. Je n'abandonne personne. Jamais.
- Et si tu es mort ?
- Là,bien sûr... Mais je te promets d'envoyer quelqu'un d'autre. Tu te souviens de ce que je t'ai raconté l'autre fois. Que nous revenons au dessus des maisons, enfin notre âme. Je peux aussi parler aux chats vivants, la nuit.Donc j'aurai demandé à un collègue de venir.
-Un sympa. Demande à un sympa comme toi. Parce que des fois, il y en a qui griffent et qui ne veulent jamais se laisser caresser.
- T'inquiète je sais reconnaitre un gentil chat à trois kilomètres.
- Tu me racontes l'histoire que tu n'as pas eu le temps de finir parce que tu t'es endormi, l'autre nuit.
- Voyons. C'était quoi, déjà que je voulais te raconter... ?
Je me suis léché le ventre pour me laisser le temps de réfléchir. J'étais fatigué, le ventre creux, j'avais peu d'idées. Je me mis à penser à Ronrono. Il serait furax de constater que je m'apitoyais sur mon sort alors qu'un pauvre enfant vivait un enfer depuis des mois, des années peut-être.
- Je vais te raconter la vie d'un de mes meilleurs amis. Qui est aussi mon maître. Il s'appelle Ronrono. Il est tellement grand et fort qu'il ressemble à un léopard ou un jaguar. Il avance avec la même allure. Il m'a donné plusieurs vies et me fait traverser d'une vie à une autre en prenant une route secrète dans le voie lactée. Il est né en Inde. Son arrière grand-mère, sa grand-mère vivaient misérablement, un peu comme moi. Dans la rue, à la merci des poubelles et des caniveaux, des caves et des jardins déserts. Mais sa mère trouva la fortune après avoir marché des jours entiers. Et Ronrono naquit dans un palais. Tu vois, Ronrono a eu de la chance. Pas comme nous.
- Peut-être que tu marcheras aussi des jours entiers et que tu auras de la chance.
- Mais si je marche des jours entiers, Sébastien, ça veut dire que je vais te quitter !
- Sauf si je pars avec toi.
- Ah oui, évidemment...
La porte de la cave s'ouvrit. Un type est descendu. Un type maigre et pas très grand. Un type qui n'avait pas l'air terrible. Sébastien s'allongea sans bruit et je disparus sous le lit.
- Ta mère veut te parler. On lève la punition. Tu vas dormir dans ta chambre. Mais tout ça à une seule condition qu'on va t'expliquer... Si tu veux retrouver ton plumard t'as intérêt à bien ouvrir tes esgourdes. Allez monte.
Je sentis que Sébastien regrettait presque de monter. De suivre ce type. Lacave, aussi sordide qu'elle pouvait l'être, était notre lieu de rendez-vous. Un endroit où malgré le sordide, il se disait enfin de l'amour.




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ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 32


Semaine 32

Le jour pointait à peine quand Yannis Pantapoulos se retrouva assis sur le rebord de son lit, hirsute, la barbe piquante, la langue épaisse. La veille au soir il avait bu plus que de raison, seul devant la télé en regardant un programme qui parlait des vignobles français et californiens. Il avait encore pensé à Mameth, à la malédiction qui lui était tombé dessus peu de temps après leur rencontre et il s'était saoulé. Dans la nuit, emporté par le sommeil, hébété par l'alcool, il avait rêvé de sa femme. Irina tenait leur enfant dans les bras et elle attendait sur le port, à l'embarcadère du ferry, des valises autour d'elle comme si elle était prête à quitter l'île. Yannis lui disait de ne pas partir et Irina lui répondait que ça ne servait plus à rien de rester. Qu'il l'avait trahie, qu'elle était morte et leur enfant aussi àcause de lui mais que ça n'avait plus d'importance. Qu'il avait payé et qu'elle pouvait disparaitre de la circulation. Yannis se passa la main dans les cheveux pendant qu'il me racontait son rêve.
- Ca veut dire quoi, Bradpitt ? Hein ? Que ça y est, je me suis pardonné mon crime. Je peux vivre en paix, c'est ça ? Et qu'est ce que ça va changer dans ma vie de vivre en paix ? Je te le demande ?...
Yannis se leva et alla faire un café. Il dévissa la petite cafetière italienne et attendit devant la plaque électrique le burbulement du liquide chaud. Il ne buvait plus de
café grec depuis belle lurette... Depuis la disparition d'Irina. Il vit sur le buffet la pièce de cinq francs trouvé dans la partie du mur écroulé au camping. Le destin lui disait donc que Mameth allait revenir. C'est peut-être pour ça qu'il avait rêvé qu'Irina pliait bagage.
Yannis se rasa, huma l'air printannier sous le figuier de la cour et sentit que l'été était à peine à quelques lieues. Il me glissa dans son blouson et quitta la cour après avoir avalé son café. On monta sur la moto et on fila au camping.
Piotr, l'homme à tout faire, dormait encore sur le lit de camp de la cuisine quand mon maître ouvrit la porte. Un léger ronflement régulier rythmait le silence. Yannis saisit la boite de nescafé qui traînait sur la table, attrapa le shaker en plastique sur
l'étagère au dessus de l'évier et se fit un café frappé. Il alluma une cigarette et déplia le journal de la veille, plié en quatre devant lui.
L'odeur de la cigarette réveillerait le yougoslave. En attendant, il feuilleta Ta Nea. Le pays allait mal mais regorgeait de stars, de people friqués, d'affairistes et d'armateurs qui ne lâcheraient pas un centime. Il éplucha les nouvelles d'un monde écartelé. Un entrefilet dans la colonne des potins mondains le fit sourire. Le richissime indien
Indhi Ramishan épousait dans quelques jours une jeune française et la cérémonie se déroulerait dans l'île de Sandros. La manifestation permettrait de découvrir le luxueux dernier hôtel de la chaîne Ramishan House and Luxe. Une petite merveille d'écologie et d'informatique designé par un artiste new-yorkais. Mais le truc qui sidérait Yannis c'est que la fille sur la photo, la future épouse de cet indien plein
aux as ressemblait comme deux gouttes d'eau à la jeune-fille rousse qui posait autrefois en maillot de bain au bout du quai de son camping.
L'homme endormi sur le lit de camp se réveilla en sursaut.
- Fallait me secouer ! dit-il en s'adressant à Yannis
- Je lisais le journal. Y a pas le feu. En ce moment y a des trucs qui me turlupinent...
- Comme quoi ? Demanda l'employé yougoslave.
- Comme si j'avais vécu longtemps entre parenthèse et que tout à coup, le temps me rattrapait et me faisait repartir à zéro.
Piotr, le regarda, incapable de lui répondre. Moi je partis vers la plage voir si Chaussette Blanche finirait par m'aimer.



 

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ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 31



Semaine 31

J'étais maintenant sur les genoux de La Salle que le grand moine Gio avait installé dans un fauteuil de bois à bascule, sous le marronier qui se trouvait à l'entrée du potager. La Salle somnolait à l'ombre de l'arbre, sa main légère posée sur mon collet. Son corps s'était beaucoup affaibli et sa main avait perdu beaucoup de consistance. La mort la grignotait comme le reste de son corps. De temps en temps, Gio se
rapprochait à grandes enjambées de l'arbre pour jeter un coup d'oeil surle malade. Il regardait si sa poitrine se soulevait régulièrement et ilrepartait rassuré. Il vérifiait aussi que j'étais bien à ma place sur les genoux. Mon absence l'aurait à raison inquiété. Je vis arriver Onaké qui marchait sur le chemin comme une funambule sur un fil. Elle tenait une ombrelle pour se protéger du soleil ardent du début d'après-midi.
Elle portait aussi un petit siège pliant en toile rayé. Elle arriva près de nous sans que La salle s'en rende compte. Il avait les paupières clauses et semblait dormir. De la voir si fine comme une brindille dans sa tunique de coton blanc qui couvrait ses cuisses jusqu'aux genoux, ses long cheveux raides-noirs qui avait poussé jusqu'à la taille, une
corolle de toile rouge au dessus de la tête, de la voir si naturellement belle et élégante je me mis à ronroner de toute mon âme joyeuse.
La Salle ouvrit les yeux au moment où Onaké allait se pencher sur lui pour lui retirer ses lunettes.
- Je ne dormais pas vraiment, dit-il, en la voyant. J'étais entre deux eaux, comme un plongeur qui ne sait pas si il doit se laisser engloutir dans les abysses ou s'il doit remonter vers la surface. Tu vois Onaké, j'ai encore assez de force pour ne pas me
laisser couler sans hésitations.
Il sourit. Il n'avait plus la force de rire comme autrefois.
- Je ne te trouve pas mauvaise mine. Je crois que tu vas encore passer quelques mois parmi nous, François.
Le moine Gio planta sa bêche dans le sol et se rapprocha de la barrière en bois qui clôturait le potager du couvent. Il s'adressa à Onaké.
- Bonjour, belle dame, je suis heureux de vous voir. Comment allez vous ?
- Je vais bien. Je viens apporter de bonnes nouvelles à François.
Onaké sortit une lettre de sa poche. Le moine retourna à son travail.
- Il a répondu vite ! Murmura La Salle
- Oui et pourtant il hésite à accepter ce que tu lui demandes.
- Ahh...
- Je te lis la lettre.
" Monsieur,
Permettez moi tout d'abord de vous dire que bien évidemment je me souviens parfaitement de vous pour avoir souvent travaillé, avec un grand
plaisir, à vos côtés, comme interprète. Vous m'avez permis d'approcher des gens rares et talentueux, inoubliables. C'est un fait que notre collaboration a toujours été simple et de qualité. Mais ce que vous me demandez est très particulier. Je ne me sens pas vraiment à la hauteur de la confiance que vous me témoignez. Où plutôt, en toute franchise, je ne sais pas si j'ai vraiment envie d'être l'homme que vous recherchez.
Vous ne me demandez pas d'accomplir quelque chose de très difficile et pourtant vous demandez beaucoup. Vous me demandez quelque chose qui va me lier à vous le restant de ma vie et je me demande si je pourrai tenir cette promesse. Si je la tiendrai consciencieusement sans faiblir. Si je ne me dédirai pas en chemin. Que dire d'autre... J'accepte de vous rencontrer et espère que d'ici là ma réflexion aura muri.
En attendant, portez-vous le mieux possible. Bien à vous. A bientôt.
Je communiquerai le jour de mon arrivée à Onaké.
Guillaume de La Luppa."

- Il va venir, dit Onaké en repliant la lettre. C'est bien. C'est presque gagné...
- Je ne veux pas le forcer. J'ai bien réfléchi mais je ne vois personne d'autre à qui demander ce service. A part toi, évidemment. Mais toi, tu es loin de Venise, trop loin.
- Si Guillaume de La Luppa refuse, tu sais bien que je le ferai.
- Oui, je sais... Mais attendons... Tu sais Onaké, cette nuit j'ai eu en rêve une magnifique visite.
- Ah? Les sourcils d'Onaké se soulevèrent... Raconte, dit-elle
- J'ai vu la Princesse Gio en train de mourir de froid sur le banc de pierre du couvent, tu sais celui qui est tourné vers la plaine, plein nord.
Elle m'a vu la regarder et elle m'a dit en japonais quelque chose que j'ai compris comme si elle parlait anglais ou français. Elle m'a dit :
"Vous savez Monsieur, mourir d'aimer et de douleur ce n'est pas très difficile. La seule chose qui me navre c'est que l'enfant que je porte doit aussi mourir. Lorsque nous mourons c'est ça qui est difficile, c'est de laisser mourir l'enfant que nous portons en nous. Il se trouve qu'en cette circonstance je porte réellement un enfant. Mais homme ou femme, jeune ou vieux, nous sommes toujours enceints, monsieur, toujours
plein de cet enfant que étions."... Bizarre, hein ?
- J'aimerais tellement que Gio vienne aussi à moi, une nuit, François !
- A mon avis elle ne se montre qu'à ceux qui vont mourir comme elle, vaut mieux que tu ne la vois pas. La Salle faillit presque rire. Son sourire se crispa sur un toussotement.
- J'ai terminé le premier mouvement du concerto dit Onaké calmement.
- C'est bien, très bien. Aujourd'hui, je n'aurai eu que des bonnes nouvelles. Je crois que je vais dormir encore un peu si tu chasses Petit Prince de mes genoux... il commence à
peser, le bougre.
Avant même qu'Onaké ne m'attrape, je sautai dans l'herbe et partis chasser le mulot dans les champs. Ma vie au couvent était délicieuse.



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