" MARIE BATAILLE auteur littérature jeunesse, livres pour enfants, presse, roman feuilleton: ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 35

ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 35


Semaine 35

La Luppa était revenu au figuratif. Les moines avaient mis à sa disposition deux cellules. L'une des pièces lui servait de chambre et l'autre d'atelier. Dans celle qui servait d'atelier, l'odeur de térébenthine commençait à imprégner les murs. C'était une petite pièce éclairée par la lumière froide et neutre du nord aux murs blancs et
lisses. Il y avait un coffre en bois qui pouvait servir de banc, une table et une chaise, un évier qui se prolongeait par une petit plan de travail carrelé d'azuelos bleus où étaient posées une cafetière électrique, deux tasses renversées et un chevalet.
Avant de se mettre au travail, La Luppa s'asseyait souvent sur le coffre et regardait dehors par la fenêtre. Il laissait venir à lui les paysages qu'il allait peindre. C'étaient des paysages qu'il avait connus autrefois en Argentine. Des paysages de l'enfance qu'on emporte avec soi pour le restant de sa vie. Avant de se lancer dans ce travail, il avait passé des semaines à Londres à contempler les toiles de Turner et plus tard à Amsterdam pour s'imprégner de la lumière hollandaise. Il savait que la maladie avait pris possession de lui mais il savait aussi qu'il lui tiendrait la dragée haute. Face à elle, il y avait la peinture, l'envie de créer encore et toujours.
Mais soudain il y avait aussi un autre Luppa. Il y avait celui qui n'avait jamais osé se laisser aller, osé rater, osé revenir et rester à la sensation primitive, osé revenir à ce
qu'il l'avait prédestiné à être peintre : la beauté de la nature qui le prenait tous les matins quand il ouvrait les volets sur les grandioses étendues de la pampa. La lumière, cette lumière qui le consolait d'être resté seul avec son père, de ne plus entendre le rire et la voix de sa mère. Il était sûr que sa mère était quelque part pour toujours perdue dans cette lumière. Alors maintenant qu'il était au sommet, il lui fallait redescendre la pente et revenir au commencement. Le chemin n'était pas le même.
La Luppa ne pensait presque plus à Mameth, presque plus à son fils ni à sa fille bien que Chloé soit toujours proche de lui parce qu'elle rappelait son Argentine chérie, fantasque, immense et fragile. Lorsque Chloé était née, il n'avait plus été orphelin.
Personne ne savait dans quel nouveau travail il s'était engagé. Ni son agent, ni sa famille. Il n'y avait que quelques moines qui étaient au courant et il était convenu que les peintures ne sortiraient du couvent que lorsque La Luppa serait mort.

Maintenant quand La Luppa peignait, il oubliait qui il était vraiment. Il oubliait jusqu'à son nom et se demandait pourquoi il était reclus dans cet endroit étrange et silencieux, loin du monde. Il ne paniquait plus devant ce néant. Quand il arrêtait de peindre, peu à peu, sa conscience et son identité lui revenait. Il savait ce qu'il faisait et pourquoi il était là. Ces absences ne l'effrayait plus, d'autant qu'elles permettaient à son travail de s'ouvrir comme une fleur, de livrer tout son parfum, tout son talent qui lui semblait avoir été muselé pendant des siècles.
 

Le mariage de Chloé serait sa dernière sortie.
Ensuite il retournerait à la peinture pour toujours. La réclusion. C'était le prix à payer pour peindre ce qu'il n'avait jamais réussi à dire, ce qu'il avait tant cherché, tant essayé.
La Luppa regarda une dernière fois par la fenêtre avant de se mettre au travail. Comme tous les matins il fit un signe au chat qui était allongé dehors sur le muret du cloitre qui soutenait les colonnes de la promenade. Un grand chat tâcheté, presqu'un léopard, qui lui souriait.
Un chat extravagant qui venait manger les restes du couvent et disparaissait assez vite dès que La Luppa commençait à peindre
.



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