" MARIE BATAILLE auteur littérature jeunesse, livres pour enfants, presse, roman feuilleton: Lundi ravioli

Lundi ravioli


LUNDI RAVIOLI : UNE NOUVELLE RUBRIQUE D'HUMEUR ET D'HUMOUR... 
TOUS LES LUNDIS...

Photo Claude Degoutte
Le stress du cadran

La porte du lycée fermera à 8h25 pile! Hector me fait penser à ces
matadors qui font toujours une passe de plus pour épuiser le
taureau. Le taureau c'est moi. Moi qui rumine quelques biscottes
beurrées sous l'horloge du coin repas.
Toutes  les cinq minutes, Hector demande à l'horloge parlante combien de
temps il lui reste pour se pommader comme un marquis du XXIème et
encroûter finement sa coiffure new beattle manga. L'horloge parlante
c'est moi. L'horloge menace de ne plus répondre mais craint
l'inconscience et l'insatiable coquetterie d'Hector qui préfèrerait
une heure en permanence plutôt que d'arrivée la frange mal
positionnée.
Bref, le taureau et l'horloge, au fil des matins, s'épuisent. Les
biscottes restent coincées dans la trachée, les dents grincent, les
propos se durcissent et manquent de civilités. Je voudrais comme
Stéphane Eicher "déjeuner en paix".
Enfin ce matin la porte claque pour un départ précis à 8 heures. Le
silence revient. La grille des mots croisés refait surface et me
lance un appel: "Retard" en huit lettres.... Alerte rouge!
Je pense à Hector qui doit faire maintenant son tiercé gagnant avec
les bus: le 68, 38, 88 ou 62, 68, 38. Ce matin il risque gros, il a
perdu dix bonnes minutes devant le miroir à cause d'un imprévisible
bouton.
C'est la radio qui me l'annonce : 8h25. Voilà tout est fini, les dés sont
jetés. Le  marquis Hector de Seconde D à la mèche enduite de cire
à l'huile de kukui a t-il pu franchir la grille du lycée avant le
gong? Mon thé est tiédasse. Il  faudra un sérieux coup de
micro-ondes pour désengorger avec du darjeeling brûlant le stress
du cadran.



 

Photo Claude Degoutte
Lundi Ravioli du 12 mars :
Nom d'un chien

Ce matin la vie est douce à la terrasse du café. Soleil printanier,
circulation fluide sur le boulevard. Temps idéal pour mater les
Médors du quartier. A Paris, dans le 14ème, les chiens sont
terriblement "frenchys". Pas très grands, mais coquets,
alertes, intelligents, comiques, aimants, bref parisiens.
Je me délecte en regardant Berny. Il est amoureux fou de sa maîtresse
et n'arrive pas à se résigner de rester seul avec son maître.
Quelle horreur de la voir soudain traverser et disparaître. Berny
tire sur la laisse. Il ose, lui, lui montrer combien il ne peut pas
vivre sans elle. Un jour, pour elle, il deviendra bandit des rues et
finira aussi mal que Mesrine. Il s'échappera, traversera et pour
finir se fera buter par un type en moto qui n'aura pas le temps de
freiner et se cassera les reins. Ca leur servira de leçon à tous!
Espèrons que Jonas n'assiste jamais à pareil carnage. Il est en pleine crise
de retour d'âge et déprime. Il voudrait tellement ne plus sortir du
salon, ne plus voir de congénères jeunes et heureux, ne plus être
obligé d'être retenu par une laisse Vuitton, ne plus aller acheter
le journal, ne plus s'allonger sous la table de la brasserie la
Rotonde, ne plus pisser, ne plus être chien. Il s'assoit et me
regarde en se demandant si moi je comprends tout ça. Parce qu'elle,
sa maîtresse, qui rentre bronzée d'un treakking au  Boutan, ne
comprend pas. Il aimerait pouvoir demander le divorce.
Lilou, heureusement, voit la vie autrement. Elle passe au salon se faire
coiffer deux fois par semaine, elle mange un super pâté vitaminé
qui lui fiche une humeur pétante. Elle est douce et caressante avec
tout le monde, tous les humains autour d'elle sentent délicieusement
bon, le Guerlain , le vison ou le diamant. Elle aime la ville, les
taxis, les grands magasins, les salons de thé, les salons de beauté
et les agences de voyage. Pour tout ça, elle peut se retenir de
pisser toute une journée.
Lilou n'a rien à partager avec Gypsie qui rêve de campagne et de Marlou,
de tracteur et de crottin. Elle marche devant sans laisse, un vieux
bandana jaune noué en guise de collier et si un flic rappelle à
l'ordre son maître Jean François, elle n'hésitera pas à aboyer et
à montrer les crocs. C'est déjà arrivé. Et Jean-François
toujours fauché a dû emprunter 120 euros pour payer la dernière
amende.



Photo Claude Degoutte
Lundi Ravioli du 19 mars :
Réunion de Copropriété

Madame Machin ne votera pas pour rajeunir les peintures du hall. Les boiseries chêne foncé datent du temps de sa mère. Les lustres vont avec, parure indiscutable! L'ensemble est indémodable et "classieux". Comme feue sa mère. On ne touche pas à l'esprit des lieux!
Mais des voix s'élèvent : c'est sombre même en plein jour, sinistre le soir, cafardeux! Une belle couleur claire enjoliverait l'entrée et mettrait en confiance et de bonne humeur! On économiserait de l'électricité !
De la peinture claire, Mr Michon n'en veut pas. Ca incite aux graffitti, ça se salit et ça met en relief la moindre imperfection. Mais il veut bien qu'on repeigne le lambris du hall en chêne clair. On reste dans le bon vieux bois avec quelque chose de plus lumineux.
Mais des voix s'élèvent: on ne va pas poncer, nettoyer, repeindre, payer des travaux pour si peu de changement. Il faut innover, rajeunir, relooker!
Madame Machin n'en démord pas, le chêne foncé c'est chic, c'est noble. Ca vieillit bien. C'est immortel et académique. Le new look c'est bon pour les résidences de Bastille!... Toutefois, elle convient qu' un chêne clair pas trop clair est une idée intéressante...!
Mr Michon sent qu'une ouverture est possible! Le moment est venu de faire l'artiste : il y a aussi le noyer vénitien, l'aulne, le poirier des flandres ou celui du calvados.
Mais des voix s'élèvent : Assez! Plus de boiseries. On veut de la couleur, des tons qui flashent.
La querelle des anciens et des modernes va durer jusqu'à vingt trois heures douze. Au final, la réfection du hall sera remise à l'ordre du jour de la prochaine assemblée, l'année suivante.
Le hall restera cet éternel "vieux beau" en chêne foncé qu'a bien connu feue Madame Machin mère.

Photo Claude Degoutte






Lundi Ravioli du 26 mars :
Dimanche Denfert

Je sirote un café sous la bonne garde du lion vert bronze. Voilà un dimanche parisien qui s'annonce beaucoup plus calme que le précédent... Le précédent a été d'enfer!
ll faut dire que l'affiche de la semaine dernière était un vrai festival! Jenny, ma voisine anglaise me proposait un succulent Salon du Livre 2012 mais, hélas, sans Murakami qui était resté sur le rivage de son île lointaine. Alors au diable, le Salon!... Et le meeting Mélenchon qu'est ce que j'en faisais? C'était pas super, ça, le meeting Mélenchon, criait Pierrette dans l'interphone?.. Reprendre la Bastille, marcher main dans la main avec des gens qu'on ne connaît pas, chanter peut-être, agiter les bras et sentir venir des fourmis dans les jambes...Un dimanche militant-militontaine, pourquoi pas? 
Mais Hector se réveilla et grogna qu'il n'y aurait encore personne pour l'amener dans deux heures disputer sa compétition de taekwondo à Villeneuve-Quiquepounette. C'est vrai, c'est vrai, ça faisait bien trois ans que je ne m'étais pas trompée de sortie d'autoroute et que je n'avais pas zoné dans un centre-ville désert à la recherche d'un stade décrépi construit au fond d'une impasse... Désolée, Hector, mais ces tribulations excentriques n'avait jamais beaucoup plu à mon cabriolet Ford Escort qui était maintenant en fin de vie....Il valait mieux que tu partes en RER avec ton pote Maxime. C'était plus sûr.
Il y avait bien un truc qui me tentait, un truc qui me titillait le cerveau... C'était aller au cinéma voir l'histoire d'un chanteur populaire, un film bien sous tout rapport pour vieille jeune-fille délirante. Surtout que pour tout arranger ma mère dans un texto lapidaire me proposait un brunch à la gare de Lyon pour discuter des études incompréhensibles de sa petite fille!
Alors sur la pointe des pieds, sans me coiffer, sans me maquiller et sans soutien-gorge, j'ai cédé à l'appel du soleil tout puissant, à l'Egypte, au Canal de Suez, à la redoutable Alexandra d'Alexandrie, à la sueur, au mélo, au chemises de satin cintrées, aux voitures de toutes les couleurs, à un type qui saute partout, tout le temps et sur tout ce qui bouge, j'ai cédé à Cloclo...
Mélenchon, le Salon du Livre, Villeneuve-Quiquepounette, la gare de Lyon avec ma mère, ça serait dans une autre vie! 



Photo Claude Degoutte
Lundi Ravioli du 2 avril :
Les dossiers de l'écran

Fin d'après-midi, un samedi de promos, dans un grand magasin parisien, rayon homme. Je cherche la perle rare, une chemise originale en pur coton qui ne ne se repasse pas et se plie toute seule, soldée au moins 50%, taille XL pour Jean Michel qui commence à bedonner.
Je viens de pousser le trentième cintre, allant de déceptions en déconvenues quand une quinqua avance son bras tintinabulant de bracelets. On se regarde rapido, on se sourit, on se comprend. Il y a de fortes chances que ni mon Jean Michel ni son Truc Muche n'aient une chemise neuve ce soir....Pourtant on aura fait tout ce qu'on peut. On aura poussé du cintre jusqu'à la suffocation. Mais soudain tout s'arrête pour le bras aux bracelets. Son portable sonne. Elle fouille dans son sac nerveusement et la main triomphante saisit l'outil. L'autre main libre ne pousse plus qu'un cintre sur trois:
  • Ah non, Josette, je ne rentre pas tout de suite... Certainement pas. Je suis à Haussmann, je cherche une chemise pour votre fils et vous savez comme Jean Louis est difficile à habiller. Ah non, je ne serai pas de retour à 18h, non....
  • ..........
  • Bien sûr Josette que vous pouvez regarder la télé en attendant, quelle question!
  • ............
  • Elle marche impec, Josette. Jules a regardé ce matin une émission de cuisine où on apprenait à frire des insectes tropicaux...
  • .........
  • Sur quelle chaîne c'était, je n'en sais rien.
  • .........
  • Regardez si le voyant vert est bien allumé, il a peut-être été éteint ... Vous l'allumez en enfonçant le bouton "on"
  • ............
  • Il est sur quelle chaîne votre feuilleton?
  • ...........
  • Vous avez bien appuyé, avec la télécommande, sur la 3?
  • .............
  • Et vous décrochez toujours la 110?!!.. Ah mais non, Josette, vous ne captez pas la 110, bien sûr que non ! 110 et le logo rouge c'est pour le Sidaction, c'est pas une nouvelle chaîne... Vous le voyez le logo rouge?...
  • .............
  • Bon! Ca va mieux maintenant? ... Mais non vous n'avez pas Alzheimer!... Qu'est ce que vous allez imaginer!!... Allez, bon feuilleton, à ce soir.
  • ........
  • Comment?... Ah puisque vous n'avez pas Alzheimer vous voulez faire un don au Sidaction... C'est une bonne idée, ça, Josette. Faites un don au 110.
La dame aux bracelets raccrocha soulagée.
Elle allait reprendre sa recherche effrénée au milieu des cintres quand le portable sonna une deuxième fois. Fausse manip, le haut parleur s'est enclenché...
  • Allo chouchou, c'est quoi cette histoire de chaîne 110? Maman m'a appelée complètement affolée....
  • Oh! toi et ta mère vous commencez à me....
La dame s'est éloignée....
Tant pis, son Jean-Louis n'aura pas de nouvelle chemise, un pull peut-être, des slips ou des chaussettes...
Quant à mon Jean Michel il aura finalement une chemise noire à pois verts. Il n'aime pas les pois mais franchement après ce que je venais d'entendre, il y avait des trucs beaucoup plus graves dans la vie que de porter une chemise à pois qui ne se repasse pas et qui sèche en dix minutes chrono!

Marie Bataille 

Photo Claude Degoutte


Lundi de Pâques Ravioli du 9 avril :
Noms d'oiseaux

Vous êtes un type bien élevé, sympathique, pondéré, vous êtes toujours chic dans votre berline noire 700 quelque chose, décontract' dans votre break de papa-poule ou douché bio dans votre trois portes écolo. Et pourtant ça vous est arrivé et ça vous arrivera encore de tomber bien bas. Très bas. De traiter de connard, d'abruti ou de fils de pute quelqu'un qui vous avait profondément énervé, au mauvais moment, un matin pluvieux ou un soir plein d'amertume, sur du macadam embouteillé. D'ailleurs l'injure est partie toute seule, vous n'avez rien pu faire... Qu'être ensuite profondément navré... Comment, mais comment avez vous pu ?...
Maintenant, ces instants de bassesse, ter-mi-nés !!! Parce que plutôt que de cracher des insultes vieilles comme l'automobile parisienne, choisissez de vrais noms d'oiseaux venus des îles lointaines. Je vous en suggère quelques uns : espèce de ... Gorfou Sauteur, Puffin Fouquet, Bubul de Bourbon, Sucrier à ventre jaune, Moqueur à gorge blanche, Pétrel, Papangue, Tuit-Tuit, Paille en queue.
Evidemment adaptez vous selon le quartier. Préférez le Puffin Fouquet et le Bubul de Bourbon pour Neuilly ou les environs, et le Paille en queue pour le Bois de Vincennes... Enfin à vous de voir. 
En ce qui me concerne, le choix est fait. Où que je sois, ça sera espèce de Sucrier à ventre jaune.

Marie Bataille 

Photo Claude Degoutte

Lundi Ravioli du 16 mars
Ya pas photo !
Je me présente au guichet avec tout ce qu'il faut pour refaire une carte d'identité. La nouvelle carte sécurisée et plastifiée. L'employée de l'antenne préfecture vire au rouge...
- Mais madame la photo va pas du tout! Les règles sont très strictes on vous l'a pourtant dit la dernière fois quand vous êtes venue chercher un formulaire! Attention aux photos! Pas de frange, pas de lunettes, pas de sourire et le regard droit.               

L'employée pointe hargneusement du doigt la photo. Là, à gauche,  il y a un désespérant morceau de frange rebelle. Et il ne doit absolument pas y en avoir. Ordre de la préfecture. Si les photos sont à refaire, c'est entièrement de ma faute... Les gens n'en font qu'à leur tête! Pas de frange du tout, c'est quand même simple à comprendre! Eh ben non!
Donc avant de refaire les photos je réfléchis et il me reste deux solutions: le serre tête de ma petite nièce Luna ou le gel extra-strong d'Hector pour tenir arrière-toute la frange rebelle. Et le résultat est surprenant. Il y a maintenant sur la photo un visage sans lunettes et sans frange, parfaitement lisse, le regard astigmate et un tantinet apeuré qui pourrait interpeler quelques casting-directors pour un film d'épouvante. Mais l'employée respire: "Bon cette fois , c'est correct... C'est quand même pas difficile! "
Résultat de l'acharnement préfectoral: si je cache le nom, absolument personne, ne me reconnait. Si je tombe sur un contrôle de police soupçonneux je suis faite comme un black-beur-apache-sans papier!
Marie Bataille



Photo Claude Degoutte





Lundi Gyoza du 21 mars :
Le dernier haiku de Maître Yutaka.


Trois lignes d'encre sur une feuille de papier pour dire la beauté du
monde. Le vieux Maître Yutaka a terminé son recueil de poèmes. Il peut
s'assoupir dans son grand fauteuil bleu.
Il rêve que l'éditeur lui enverra un chèque conséquent. Il rêve que la poche intérieure de sa veste sera pleine de billets et qu' il fera enfin ce qu'il rêve de faire depuis plusieurs années. Il descendra l'avenue des pommiers en fleurs et donnera au mendiant qui dort sur un tapis de bambou effiloché un billet de 2000 yens et il glissera encore 1000 yens sous le collier du vieux chien qui dort près de lui sous une ombrelle.
Il achètera ensuite une énorme glace à la fleur de lotus pour la petite Miwa qui n'a jamais vu la mer et attend sur un banc son père ivre au coin du bar.
Il ira derrière le temple d'Asakusa dans la vieille rue aux maisons basses et déjeunera d'un bol d'anguilles grillées en prenant tout son temps.
Plus tard il fera signe à un taxi et lui demandera de le conduire au parc de
 Shakujii. Il restera assis une petite heure sur son banc préféré et
fumera la première cigarette interdite qu'il aura malicieusement volée
sur le comptoir du restaurant, dans le paquet d'une jeune punkette qui
avait une araignée verte tatouée dans le cou.
Il cherchera une supérette et achètera la meilleure bouteille de saké.
Il reprendra un taxi et partira voir son vieil ami Mukay qui ne sort plus
depuis longtemps. Lui et le conducteur du taxi, se chargeront de
descendre l'ami de son huitième étage et l'aideront à s'installer sur la
 banquette arrière. Ils iront boire la bouteille de saké, à  Nishi-Ogikubo, là où ils se sont rencontrés la première fois. Ils  regarderont les milans voler au dessus des rochers qui surplombent la mer.
Quand il aura raccompagné Mukay chez lui, il se fera conduire à Ginza pour
acheter une très chère et très belle paire de chaussures italiennes en
pensant au beau roman suédois qui portait ce titre.
La journée bien remplie, il sera alors l'heure de rentrer.
Le vieux maître Yukata sent maintenant qu' un sommeil très profond lui
cloue les paupières et il ne sait pas s'il se réveillera. Tous ces rêves resteront peut-être éternellement suspendus au dessus du fauteuil bleu
où il s'est endormi, avec son âme, elle aussi envolée par dessus le
brouhaha de la vie.



Marie Bataille

Lundi Ravioli du 30 avril : Petite entreprise


Photo Claude Degoutte

Petite entreprise
En ces temps de chômage et de faillite, Antonin s'accroche dur à sa nouvelle petite entreprise. Tous les matins, avant de partir, il écoute en boucle la chanson de Bashung et il enfile son survêt et chausse ses baskets. Et puis il part, son carnet d'adresses sous le bras et son smartphone dans la poche, sans oublier les précieux sacs en plastique.
Au programme de cette matinale, 5 clients sans histoires. Pas question de se faire remarquer avec une meute hurlante et indomptable. Ca ficherait sa réputation en l'air. Jamais plus de cinq chiens à la fois. Il compulse ses notes. Ce lundi de 7h30 à 8h30, il passe chercher Elvire, Dagobert, Filou, Manou et Snob. Ces cinq là s'entendent à merveille et sont heureux de se retrouver pour le circuit d'une heure trente autour du parc.
En tête le labrador, en second la fox terrier et pour finir le menu fretin frisé et pomponné. Tout ce monde est jeune et gaillard et demande à Antonin de l'énergie et de la bonne humeur.
L'après-midi il promène deux autres clients, beaucoup plus plan plan qui aiment hésiter pour choisir l'arbre contre lequel ils lèvent la patte et qui reniflent le long des caniveaux avec la frénésie des chercheurs d'or. Pour finir, le soir tard Antonin harassé se laissera guider par Cyrhus, un dogue puissant et souvent de mauvais poil qui ne souhaite croiser personne.
Le mercredi, toute la matinée, Antonin garde Loulette, une vieille demoiselle qui a la frange sur les yeux. Il la traîne jusqu'au canal quand il fait beau et ensuite ils pique-niquent sur l'herbe. C'est une élégante qui a vécu dans la soie. Antonin lui raconte sa vie pas brillante et elle n'en revient pas. Elle se dit que finalement une vie de chienne choyée vaut largement une vie de certains travailleurs à 2 pattes.
Le bouche à oreille fonctionne à merveille. Le carnet de rendez-vous d'Antonin est plein. Il a donc fallu prendre une décision importante: remplacer les anciennes cartes de visite du temps où il était commercial chez Bouffard & Co, société égoïste qui n'a pas hésité à le traiter comme un chien, en l'envoyant à la niche sans l'ombre d'un remords, aprés trente ans de loyaux services!
Marie Bataille


Lundi Ravioli du 7 mai : en campagne

Photo Claude Degoutte


En campagne.

Pendant que les candidats pour la présidentielle s'étripaient, gesticulaient, se pavanaient et refaisaient le monde sous l'oeil gourmand des médias qui n'en laissaient pas tomber une miette, la voix chaude, vibrante, si sensuelle et masculine de Jean Ferrat résonnait dans mon coeur, comme du temps de mon père... Que la montagne est belle!.. 
Pourtant il pleuvait des cordes aux confins de la Garonne et de l'Ariège! Un printemps pourri dans cette vallée où je suis née, qui serpente et va buter contre les premières pentes boisées des Pyrénées. Là, malgré les machines à laver, les home cinémas, les 4x4, les voyages tuto includo, les lotos géants, l'ours, l'autoroute, les ralentisseurs, les Intermarchés, les ronds-points aménagés, les Conforamas, Internet et la TNT, le prix du pétrole qui flambe et autres calamités modernes indispensables, les paysages et ses quelques habitants, loin des villes, continuent de regarder passer les septennats et les quinquennats comme autrefois les vaches, un train... Avec étonnement toujours, incompréhension parfois, lassitude souvent et intérêt à chaque fois... 
La route bordée de catalpas centenaires, la grange éventrée couverte de glycine , le clocher derrière l'ilot de peupliers, le chien qui dort sur la ligne jaune, le tracteur bouffi qui traine une remorque en prenant son temps et ses aises, l'épicerie-tabac plus glaciale qu'un frigo, les 2 poulets plus bio que bio qui picorent au milieu d'un champ, la 4L Renault beige dont on se demande comment elle a pu ressortir vivante du contrôle technique, toutes ces choses se disent que oui, bien sûr, les bulletins vont dans les urnes, les députés montent à Paris avec le sénateur, le TGV et les avions transportent des ronds de cuir régionaux et des attaché-cases remplis de dossiers, oui bien sur, mais tant que tout ça ne fait pas plus de bruit que le vent dans les feuilles des arbres, que Paris est toujours Paris, là bas, très loin, à 800 bornes, tant que la montagne est belle et à la même place, tant qu'elle est rousse en Automne et verte au printemps, on se dit, en faisant avancer la brouette à grands pas crottés, eh bien ma foi, que gauche, extrême gauche, droite, extrême droite, centre, extrême centre, vert, extrême vert, ici on se débrouillera toujours.
On se dit que tant que la montagne est belle il faut en profiter, aimer et respecter son prochain et croire à la beauté des choses... Sauf, à la rigueur, quand on a un verre de pastis de trop dans le nez! 
Marie Bataille


Lundi Ravioli du 14 mai : La folle de Chaillot


Photo Claude Degoutte

La folle de Chaillot

Elle est montée à la station Denfert. Une petite dame, sans âge, bien coiffée et un peu rondelette dans sa robe légère de fin d'été. Elle tenait un sac noir coincé sous le bras, l'anse posée sur l'épaule. On venait juste de rentrer dans un tunnel quand sa voix s'est élevée, envahissant la rame d'un déluge harmonique. La voix puissante et aérienne chantait un opéra inconnu qui stoppa net les suées, les effluves, les toux, les portables, les conversations et capta les âmes les plus somnolentes et retors.
Ca nous changeait tellement des précédents nasillements sono play-back, des violons acrobates, des accordéons essoufflés, des marionnettes poilues et des duos rap-tambourins! Du coup, nous avons presque tous enfilé nos visages d'enfants curieux sur nos têtes de travailleurs parisiens. Les yeux s'ouvraient tout ronds, les oreilles s'apaisaient, les coeurs devenaient sereins.
On se disait qu'il fallait savourer, qu'on  était transbordé à La Scala pour deux stations tout au plus. Et puis un peu avant Montparnasse Bienvenue, on s'attendait tous à voir s'agiter sous notre nez le petit sac noir qui réclamerait quelques pièces. Mais rien.
Le flot humain est descendu puis remonté à Montparnasse mais absolument rien  ne dérangea la cantatrice. On roula avec elle  jusqu'à Chaillot. C'est à Chaillot que la dame ouvrit subitement les portes et descendit sans se retourner. Mais elle s'arrêta net sur le quai et agita son bras en faisant au revoir et en jetant un baiser. Alors un type s'est levé d'un bond et a applaudi avec frénésie. Je ne sais pas si elle a pu le voir. J'ai mis un temps fou à quitter ma tête d'enfant émerveillée pour remettre celle de tous les jours. D'ailleurs je devais l'avoir encore cette tête émerveillée en arrivant dans le hall du bureau car ma collègue du Service des Assurances a été catégorique en me dévisageant: "Toi t'as fait du botox!"
Marie Bataille

Lundi Ravioli du 21 mai : Proverbes

Photo Claude Degoutte

Proverbes.

Quelque part sur les hauteurs des terres de l'Angola se réunissent des centaines de petites rivières qui vont devenir, en se rencontrant au hasard de longues promenades tortueuses, le fleuve Okavango. Et le fleuve Okavango, fils de ses petites rivières, n'a jamais pensé à la mer. Il ne s'est jamais dit que c'est par là qu'il devait aller pour finir sa vie. Il a pensé à l'autre côté de la mer, il a pensé au désert. Il est parti à travers la Namibie jusqu'au Botswana vers le désert de Kalahari. Et puis quand il a vu le désert, il ne s'y est pas laissé prendre d'un coup par le sable assoiffé. Non. Il a pris le temps de donner son âme à chaque parcelle inculte, il a pris le temps de se dédoubler et d'avancer en furetant, donnant de l'eau par ci par là, créant sur son passage une multitude d'oasis peuplées de baobabs, d'acacias, de palmiers et de papyrus, d'éléphants, de crocodiles, de cobelechwes, d'hippopotames, de tentales et autres oiseaux. Alors, seulement après avoir abreuvé toutes ces terres assoiffées, il pensa que sa vie de fleuve avait été bien remplie et qu'il pouvait mourir puisqu'il était devenu delta en plein désert, puisqu'il avait pu ouvrir des centaines de bras porteurs d'eau sur une terre qui aurait du être stérile.
             J'ai lu cette histoire dans un bel Album acheté trois francs six sous à l'étalage d'une solderie installée sur le trottoir. J'ai pensé à notre nouveau président et je me suis dit que si les étrangers pouvaient voter dans nos mairies, ils auraient beaucoup d'histoires incroyables à nous raconter. Des choses que nous savions autrefois mais que nous avons mis de côté. Par exemple, que tous les chemins mènent à Rome, que tout ne coule pas de source, que les petits ruisseaux font les grandes rivières, qu'il y a loin de la coupe aux lèvres, que la vie a plus d'un tour dans son sac, qu'avec la foi on peut déplacer des montagnes, qu'il ne faut pas dire : fontaine je ne boirai pas de ton eau... Bref, qu'il ne faut pas toujours regarder la vie par le petit  bout de la lorgnette.
              
Marie Bataille

Lundi de Pentecôte Ravioli du 28 mai : Heureusement bientôt.

Photo Claude Degoutte

Heureusement bientôt.

Temps de Mars en Mai puisqu'en Mars temps de Mai...
Mais... Heureusement Bamby le sanglier va rester avec son père adoptif, décision de justice... Non, non il ne s'agit pas du petit faon qui a perdu ses parents dans un incendie de forêt, mais bien d'un sanglier... d'un Bamby made in france, du plat préféré d'Obélix, sans sauce Walt Disney, pas du flan, quoi!                            
          Heureusement il y a le Festival de Cannes et son tapis rouge Hollywood qui scotche des dames et des messieurs habillés comme Ben et Barbie... et la Palme ! Et cette année c'est "Amour" tout un programme pour ces temps obscurs et agités.
        Heureusement le pingouin qui a été kidnappé dans un zoo australien par deux ados gravement imbibés de bière a été sauvé in extrémis par une bonne douche, après avoir été retrouvé le lendemain matin complètement ratatiné et déshydraté dans un coin puant de leur chambre.
     Heureusement il y a aussi tous les jours de la semaine et même le dimanche mes deux petits hommes verts, qui s'affairent sous mes fenêtres pour nettoyer la rue avec des balais verts...Deux espions Martiens qui prétendent être employés de la mairie de Paris...Mais à moi on  me la fait pas!
       Heureusement qu'il y a Facebook, Internet, Twitter et autre Zombie New Age avec leurs listes de vrais faux amis longue comme une queue de musée du Louvre un week end de Pentecôte et qui me déverse des discussions cacophoniaques comme si j'étais une imprimante de fax.
      Heureusement qu'il y a le tiercé du Grand Prix de Mai. Cette année fallait jouer le 8, le 17 et le 27. Les gagnants ont eu des ponts longs comme le Golden Gate.
        Heureusement qu'il y a Kiki, le chien mascotte du quartier, paralysé des deux pattes arrière à qui on a attelé une sorte de petit sulky à deux roues et qui galope avec ses deux pattes avant, fier et heureux comme le comptoir du Verre Siffleur, le troquet du dimanche.
           Heureusement qu'il s'est mis à faire beau, que du coup les garçons ne mettent plus de chaussettes, que les filles ne portent plus de collants et qu'on se contentera midi et soir d'une petite salade comme les lapins... et qu'au lit aussi on aura envie de faire les gros lapins. 
Photo Claude Degoutte

Week end à la Proust

On se lève tôt parce qu'il y en a toujours un qui est matinal en toute occasion et qui prépare le petit déj en faisant griller des tartines et chauffer le café. L'odeur monte jusqu'aux chambres les plus éloignées de la cuisine et on se lève la faim au ventre. On déboule hirsute, en pyjama, et très vite la pièce se remplit.
         On se retrouve des lustres en arrière, du temps où on était jeune et beau, célibataire ou jeune marié. Sauf que là, on a trente ou quarante de plus au compteur. Mais le coeur y est. La maison n'a pas changé, les habitudes sont les mêmes. Y a quelques boîtes à pilules qui traînent mais on avale ça comme si on prenait une aspirine pour chasser une gueule de bois d'après soirée en discothèque. Tous ensemble autour de cette table on n' est pas vieux.
          On a attrapé la plage à marée basse, à l'heure des marcheurs, du galop des chevaux qui tapent le sable dur, des ramasseurs de coquillages, des fêtards qui n'ont pas dormi et se laissent lécher les pieds par l'eau froide.
          En marchant vers Houlgate, c'est l'heure des souvenirs, des bilans, des regrets et des espérances. C'est l'heure exquise des longues amitiés, des secrets partagés ou tus. C'est l'heure où vieillir n'a absolument aucune importance parce que nos amis sont là comme autant de racines qui font reculer l'oubli. L'arbre n'est pas prêt de tomber. C'est l'heure du chemin parcouru et à parcourir, des chansons de Brel, de Barbara, de Ferré, de Bécaud et de Brassens, des voyages et des cimetières, des éclats de rire et des sanglots, des réussites et des échecs. On peut penser au pire comme au meilleur.
         Nous sommes les amis de quarante ans qu'aucun Président de la République n'a réussi à brouiller, des diplômés de la pire espèce et des sans diplôme culottés. Nous sommes des porteurs du virus 3eme age et des travailleurs au bout du rouleau... Bref nous sommes des vieux copains sur le pont de la Pentecôte.
Marie Bataille 

Lundi Ravioli du 11 juin : Jubilation

Photo Claude Degoutte

Jubilation

Maintenant, je sais. Quand Loulou mon chat sera bicentenaire, sourd et presqu'aveugle et qu'il  fermera définitivement les yeux, roide sur les pages du Monde ou de Libé, je sais qu'au lieu de pleurer toute les larmes de mon corps, j'irai voir un taxidermiste et je transformerai sa dépouille en cerf-volant ou en u.l.m. Un artiste hollandais vient de faire ça. Si c'est un peu glauque, ça part certainement d'un bon sentiment. Il expliquait son geste à un journaliste qui était venu assister au décollage en direct, mais malheureusement je ne comprends rien à ce que disent les sujets de la reine Juliana....
        Juliana, justement  pouvait aller se rhabiller et se rechapeauter. La reine des reines, en cette semaine de Jubilé, c'était Elisabeth d'Angleterre en train de remonter la Tamise sur sa barge royale comme Pharaon glissait autrefois sur le Nil... En réfléchissant, ce week-end, moi aussi, avec mes enfants et mon prince consort, j'ai été sacrée reine: reine des Mères, reine des Fifilles et Belles-Filles, reine des Pommes... Du coup, pour entamer cette semaine dignement, plutôt que de me rendre au bureau, sous terre et faite comme un rat, je me suis dit que je voguerai bien sur la Seine. Je méritais bien un coup de barge républicaine. Mais arrivée sur le quai, à Bibliothèque Mitterrand, eh bien, des clous! J'ai attendu en vain les bateaux Voguéo qui desservaient l'an dernier une dizaine de stations de Maison Alfort jusqu'à la Gare Austerlitz. Un type qui nettoyait le pont de sa péniche Jazz-Club m'a expliqué que l'étude expérimentale sur les déplacements fluviaux dans la capitale était terminé et ne reprendrai qu'en 2013. Il m'a appelée "ma p'tite demoiselle" et en attendant m'a conseillée le bus, "comme tout le monde".
         Je me suis dit qu'il fallait peut-être commencer par le commencement. A la pause déjeuner je chercherai sur Internet une modiste digne de ce nom et une bonne vieille couturière pour me tailler un strict petit 7/8ème. Après, on verrait... Un sac à main à fermoir et des escarpins assortis, peut-être. Quand la compagnie daignera remettre à l'eau ses bateaux navette, je serai fin prête. Le jean, la casquette rasta, la veste en cuir et le sac besace, tout ça au placard. Tout ça pour plus tard, quand je serai octogénaire et que je ferai du Street Art en lâchant mon chat gonflé à l'hélium au dessus des toits de l'Académie Française.
Marie Bataille

Lundi Ravioli du 18 juin : Comme au Vietnam

Photo Claude Degoutte


Comme au Vietnam

Quand je suis revenue du Vietnam, dans les années 1999, Ho Chi Minh City m'a manqué longtemps comme un amour perdu. Alors, comme on respire le parfum d'une écharpe, j'allais faire un tour avenue de Choisy, dans le 13ème, parce que ça ressemblait terriblement à l' ex rue Catinat qui descendait de la place du Théâtre vers les quais de la rivière Saigon. Surtout l'été, les jours de canicule moite. 

         C'était un coin de Paris où ça sentait la coriandre mêlée au jus de cuisson d'une soupe au porc émincé, le coco parfumé de citronnelle, le jacquier, la papaye et le durian. J'y trouvais presque les mêmes boutiques un peu vieillotes, les trottoirs usés, les entrées de parking sur la rue comme les obscurs garages à vélos et à motos derrière le Majestic, les temples cachés rouges et or, Tang et Paris Store qui ressemblaient à des marchés couverts regorgeant de fioles, de cartons, d'herbes, de poissons et de viandes. Tout ça me donnait l'illusion de ne pas avoir perdu complètement le goût et la chair de mes jours et de mes nuits passés dans ce pays enveloppé de mousson et de chaleur. 
Avant de rejoindre le quartier de Plaisance où j'habitais, je déjeunais chez Lao Tan, pour déguster les gélatines multicolores dans un grand verre de coco frais. Je rêvassais et je me souvenais de mes escapades à vélo quand je partais lire la presse internationale à la Bibliothèque de l'Alliance Française, grande pièce tapissée de bois foncé, aux plafonds hauts, d'où pendaient des ventilateurs qui brassaient lentement la moiteur de l'air. La cuisine de chez Lao me rappelait aussi les restaurants autour du marché Binh Tan et les cantines en bordure de trottoirs, la douceur et la gentillesse d'un peuple qui pouvait être aussi terriblement sévère.
      Aujourd'hui, je retourne toujours avenue de Choisy mais je pense à Saigon comme on se souvient de l' amour impossible dont on a réussi à guérir. J'y retourne  en sachant tout ce qui a été perdu et tout ce qui a été accompli. Mon coeur ne bat plus aussi fort et je ne cède plus depuis longtemps à l'illusion de la ressemblance.
       Les jours où je me sens un peu plus conquérante que d'habitude, je rêve de repartir, de retourner à Ho Chi Minh ville et de m'y perdre à nouveau. De revivre dans ce qui est forcément devenu une autre ville, Une ville nouvelle hérissée de tours et shopping centers que je ne reconnaitrai plus, mais qui m'appartiendra toujours. Comme l'exil éternel appartient à celui qui a aimé et s'en est allé.

Marie Bataille


Lundi Ravioli du 25 juin : Voyages, voyages...

Photo Claude Degoutte

Voyages, voyages...

               Il y a des noms qu'on murmure pour partir loin, sans bouger de sa chaise. Ces noms de lieux, on les a entendus, on sait qu'on ne les verra sans doute jamais, qu'on ne saura  jamais de quoi sont faîtes leur rues, leurs horizons, leurs lumières, mais, peu importe, on se souvient d'un film, on a lu un roman, on a rencontré un baroudeur célibataire, une globe trotteuse libérée ou un inconsolable exilé, on a joué au loto. Un de ces noms est resté dans notre mémoire comme une douceur à déguster quand il pleut, quand bébé pleure pour la quatrième nuit consécutive, quand ça coince sur le boulevard, quand ça sent mauvais dans le bus, quand Julot devient lourd et quand tout le monde me donne tort à l'anniversaire de l'oncle Antoine. Kuala-Lumpur, Tombouctou, La Havane, Cotonou, Livingstone, Zanzibar, ces mots se disent comme la promesse d'une vie hors du commun, comme un espoir secret. Dans cette liste nous avons notre préféré, celui qui nous fait redevenir la petite-fille rebelle déguisée en Davy Crockett quand on jouait en Mai 68 avec les cousins du Périgord.
          Crab Hill, Belo Horizonte, Vancouver, Montevideo, Ventiane, ces noms de villes lointaines se murmurent comme des prénoms chéris, comme des amours perdus et inconsolables, comme des prières irréalisables de jeunes-filles. Dans cette litanie, pas de pays, pas de nord, pas de sud, pas de continents, rien qu'un endroit sans carte, seulement une impression vague et tenace comme quand on se réveille avec le souvenir d'avoir rêvé.
          Hiroshima, Katmandou, Honolulu, Pago-Pago, Acapulco, Adélaïde, des villes pour raconter des histoires très tristes, des îles perdues, des chanteurs d'opérettes, des paréos et du sable blanc, des sentiers qui montent vers le ciel, des paysages renversants et le sentiment que la terre et les peuples sont de sacrés poètes quand ils oublient de s'étriper. 
Marie Bataille



Lundi Ravioli du 2 juillet : Cinéma cinémas



Photo Claude Degoutte

Cinéma cinémas

C'est sûr, "L'enterrement de Mémé", n'était pas un film qui allait interpeller la jeunesse. En ce dimanche de fête du cinéma et de fin Juin qui sent le retour des vacances, le bikini et la crème solaire, nos ados et nos  trentenaires, pensent plutôt sea, sun, sex, que sapin, corbillard et cimetière. Donc, l'interminable  queue qui s'était formée sous une petite pluie cruelle de Toussaint, en plein dimanche d'été, et qui était aussi parfaite pour accompagner le film qu'un petit macaron au beurre salé pour accompagner le café, était une queue de vieux.
Il y a belle lurette, lorsque j'étais ado, les vieux, restaient paisiblement chez eux. Comme des choses pas très présentables, on ne les sortait pas beaucoup. Pépé en bretelle et Mémé en tablier restaient à la maison devant la télé, en compagnie du jeune et prometteur Michel Drucker.
Aujourd'hui, Pépé en loden et Mémé en escarpin sortent, vont au ciné, ont leurs cartes Gaumont et UGC et des films sur mesure. Et loin de se faire tout petits, ils revendiquent, se plaignent et apostrophent le monde: Faire la queue? Pas question, il pleut. Rester debout? Impossible! Les jambes sont lourdes, le coeur fragile et les années pèsent. Patienter une demi heure?...Mais pourquoi? Enfin, c'est quoi cette fête du cinéma? Des places à 2,50, quelle idée! Donc on se faufile, on resquille, on fait pleurer l'ouvreuse, on jauge un plus jeune.
Lundi-Ravioli, une rubrique anti-vieux? Pas du tout! Mais maintenant que les séniors sont partout, on se rend compte qu'il n'y a pas que des vénérables sages à la barbe blanche ou de gentilles Mamie Nova nourries de bonté et d'expériences. Il y a, à Paris, un lot impressionnant de Tatie Danièle et de vilains Papy Mougeot!
Finalement, tous ces petits jeunes, qui ont des oreillettes et des casques pleins la tête, des yeux pas toujours en face les trous pour le repas dominical, des pantalons trop larges ou trop serrés, des bla-blatteries interminables avec des portables vissés aux oreilles, qui écoutent des musiques abrutissantes, qui se déshabillent sur Facebook, sont beaucoup moins turbulents quand ils vont voir Twillight ou les nouvelles versions de Blanche-Neige.
Conclusion, le dimanche et le cinéma ne sont plus ce qu'ils étaient....Mais c'est une remarque de vieux cons ça, non?
Marie Bataille

Lundi Ravioli du 9 juillet : Pour Marina et autres anges...


Photo Claude Degoutte


 Pour Marina et autres anges...

Moi qui écris des histoires pour les enfants, pour leurs yeux tout ronds d'étonnement et de mystère, leur rire frais comme une source claire, leurs questions pleines d'amour et de bon sens, je suis clouée de douleur quand les médias nous révèlent qu'un de ces petits visages dignes a été torturé, bafoué, démoli, assassiné.
            Placard, lit souillé, chaise ficelée, malle-tombeau et autres martyrs sont le sort que certains parents réservent à leur progéniture. Ce n'est pas de la colère, de la haine mais un flot de larmes brulantes et douloureuses qui me monte aux yeux en pensant à toutes ces frimousses défaites et trahies par leur père et leur mère, tous ces regards incrédules qui doivent se demander encore et encore, inlassablement, autant de fois que toutes ces petites têtes ont  heurté les murs, quelle horrible faute elles avaient bien pu commettre au point de tant souffrir.
              J'aimerais qu'il existe un mémorial pour les enfants battus, battus à mort. Une statue qui s'élève quelque part vers le ciel, tendue vers leur âme inconsolable et qui fasse exploser les murs silencieux, l'insondable solitude, un monument de marbre pour réconforter leur chagrin éternel. J'aimerais qu'il y ait un jour pour ces enfants qui ne l'ont pas été, un jour de grâce, discret comme fut leur lente agonie, un jour de printemps qui associerait la fête des fleurs et des papillons, autres choses fragiles du monde, promises, elles aussi, à la vie pour très peu de temps.
            J'aimerais que les mains assassines ne puissent plus retomber comme une chape de plomb sur leurs victimes, que rien ne musèle plus le cri souvent tu de ces enfants, que le regard des autres passe à travers les caves et les volets pour obliger ces démons bon voisins à tomber le masque avant qu'ils se soient repus de la chair de leurs petits.  

Marie Bataille


 

et lisez aussi la  rubrique estivale :  "Lundi brocoli"...




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