" MARIE BATAILLE auteur littérature jeunesse, livres pour enfants, presse, roman feuilleton: ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 40

ROMAN FEUILLETON / la merveilleuse histoire de Ronrono Chapati / semaine 40


Semaine 40

L'été s'était posé sur Antisoros. Les fleurs mauves et jaunes des lavandes, des bruyères et des genêts s'étaient éteintes, laissant apparaitre la rocaille et les flancs de la montagne, couleurs de terre. A midi, le soleil commençait à cuire l'île comme un oeuf au plat. Les premiers touristes, des gens blonds et pâles, arrivaient du nord. Très
peu s'installaient au camping. Ils avaient de l'argent et choisissaient de louer des chambres ou des appartements chez l'habitant. Très peu choisissaient de camper. Yannis Pantapoulos avait encore du temps tranquille devant lui. Une ou deux semaines, ça dépendait des dates d'examen et des réductions des compagnies aériennes. Sa clientèle était jeune et désargentée. Mais il surveillait de près la situation.
Tous les matins, nous descendions au port et on s'installait à la taverne de Costas. Costas était un des rares types de l'île qui conversait encore avec Yannis. Et il ne venait même pas à l'idée de Yannis d'aller s'asseoir ailleurs pour siroter un café frappé et attendre les bateaux qui accostaient. Je descendais avec lui de la maison jusqu'aux quais. Je marchais à ses côtés, comme un chien, la queue droite comme un I et l'allure souple. J'essayais tant bien que mal de ressembler le plus possible à Ronrono. Je passais devant le restaurant de Patalina aussi fier qu'un tigre qui escorte son Pacha. La chatte borgne Kali ne mouffetait pas, ni ses fils qui faisaient semblant de dormir. Il me semblait que Yannis et moi étions deux soldats fiers et courageux qui osions la traversée du village à pieds. La plupart du temps, Pantapoulos fuyait les rues du village et passait son temps chez lui ouà son camping. Il circulait sur sa vieille moto pétaradante, empruntantl'unique petite route de l'île qui en faisait le tour le long de la
côte, évitant les ruelles du villages et les rencontres.

Ce matin là, Antisoros était calme. Le premier bateau qui devait accoster de la grande île voisine n'était pas encore en vue. Il y avait juste un petit essaim de suédois et de norvégiens bourdonnant devant la boulangerie. Jem'étais allongé aux pieds de mon maître et je humais la tiédeur de l'air à peine remuée par le petit vent venu de la mer.
Yannis fumait tranquillement sa clope et je sentais bien qu'à cet instant là, il était redevenu un homme tranquille. Un homme que le malheur n'aurait pas bousculé, un homme ordinaire à qui rien d'exceptionnel ne serait arrivé. Un homme comme la majorité des autres hommes de l'île. Assis à la terrasse de ce café, devant la beauté
éternelle de la mer,il redevenait sans doute, le jeune homme d'autrefois qui avait toute la vie devant lui. Il tirait tranquillement sur sa cigarette, le corps nonchalant et détendu sur la chaise rigide de paille et de bois.

Et puis soudain, dans la baie, apparut le premier bateau. Il glissait, blanc, sur l'eau bleue et calme. Chaque fois c'était la même chose. Le coeur de Yannis Pantapoulos se mettait à palpiter. Un sentiment inéffable de paix, de joie et d'amour mêlés, l'envahissait jusqu'à la racine des cheveux. Rien d'autre ne lui avait jamais fait cette
impression. Rien, ni personne. Ni personne sauf Mameth. Il étira sa jambe droite et redressa son dos sur la chaise. Il aurait pu savourer cet instant unique tous les matins de sa vie si le destin n'en avait pas décidé autrement. Maintenant, à ce moment précis, il découvrait que depuis plusieurs matins, il venait attendre quelqu'un. Il était sûr que
la pièce de monnaie découverte dans les vieilles pierres du mur du camping était un présage qui allait se réaliser. Mameth allait revenir.
Le bateau allait rejoindre le quai. Il distinguait très bien les voyageurs perchés sur le pont supérieur. Et il la vit. Comme la pièce l'avait promis. Flamboyante avec son casque de cheveux roux, sa peau de porcelaine et la façon de se tenir. Elle était revenue. Yannis avait seulement plissé les yeux. Il ne bougeait pas. Il attendait la suite. Et la suite le laissa abasourdi. C'était une jeune femme, d'à peine trente ans qui traversa la passerelle et se retrouva inondée de soleil sur le quai. Une jeune femme qui n'était jamais venue et qui ressemblait à Mameth comme deux gouttes d'eau. Yannis avala la fumée de travers et toussa. Dieu n'arrêterait donc jamais de le faire marner. Pourquoi se moquer de lui de cette façon? Il regarda la jeune femme avancer vers le
café de Costas sans pouvoir bouger. Il y avait trois autres cafés que d'habitude les touristes préféraient. Elle le dévisagea avant d'immobiliser sa valise à roulettes pour finalement s'asseoir devant lui, face à la mer,en lui tournant le dos. Elle commanda en anglais un café frappé avec du lait et du sucre. Son portable sonna. Elle répondit en français :
"Oui maman. Je viens d' arriver. C'est pas mal. C'est vrai, c'est calme....
Je t'en prie Mameth, ne recommence pas... Je vais bien. Oui appelle moi ce soir. Tchao."
Yannis Pantapoulos écrasa sa cigarette et se leva. Je le suivis. Il était redevenu l'homme inquiet qu'il était toujours. Il partit longer le quai redevenu désert. Il pleurait.



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